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Chapitre 3: Le Mystère du Capital

 

Sherlock 

Pourquoi la genèse du capital est elle devenue un tel mystère? Et pourquoi les nations riches n'ont elles pas expliqué aux autres à quel point un régime de propriété formel est indispensable à la formation de capital?

 


 

Les routes du Moyen-Orient, de l'ex-URSS ou de l'Amérique latine offrent au voyageur un spectacle très varié : des habitations, des parcelles de terre labourées, semées ou récoltées, des marchandises qui changent de main. Les actifs des pays en développement et des ex-pays communistes ont pour principale fonction de servir directement ces activités matérielles. Dans le monde occidental, en revanche, les mêmes actifs ont aussi une "vie parallèle" en tant que capital hors du monde matériel. Ils peuvent être un moyen de développer la production en garantissant les intérêts d'autres parties, en tant que nantissement d'un prêt hypothécaire, par exemple, ou en assurant l'offre d'autres formes de crédit et services publics.

Pourquoi les immeubles et biens fonciers dans le reste du monde ne mèneraient-ils pas aussi cette vie parallèle? Pourquoi les ressources colossales des pays en développement et des pays anciennement communistes, qu'à l'Institut pour la liberté et la démocratie à Lima nous estimons à 9,3 billions de dollars de capital mort, ne produiraient- elles pas de la valeur au-delà de leur état "naturel"? Ma réponse est qu'il y a du capital mort parce que nous avons oublié (ou nous ne nous sommes peut-être jamais rendu compte) que la conversion d'un actif physique en générateur de capital — comme le logement qui sert à obtenir un emprunt pour financer une entreprise — est un processus très complexe. On pourrait le comparer à ce qu'Albert Einstein nous a enseigné en montrant qu'une seule brique peut libérer une énorme quantité d'énergie sous forme d'une explosion atomique. Par analogie, le capital procède de la découverte et de la libération de l'énergie potentielle que recèlent les milliards de briques accumulées par les pauvres dans leurs constructions.

Les indices du passé 
Pour élucider le mystère du capital, il nous faut revenir au sens premier du terme. En latin médiéval, le "capital" désignait, semble t il, les têtes de bétail ou cheptel, qui ont constitué de tout temps une importante source de richesses, au-delà de la viande, du lait, du cuir, de la laine et du combustible qu'ils fournissent. Le bétail peut aussi se reproduire. C'est alors que le capital commence à remplir une double fonction qui recouvre à la fois la dimension physique des actifs (bétail) et leur potentiel générateur de valeur excédentaire. De l'étable, il n'y avait qu'un pas à franchir pour arriver à la table de travail des inventeurs de la science économique qui ont défini le capital en termes généraux comme la part des actifs d'un pays qui engendre une production supplémentaire et accroît la productivité.

Les grands économistes classiques, comme Adam Smith et, plus tard, Karl Marx, voyaient dans le capital le moteur de l'économie de marché. Dans La richesse des nations, Smith met en avant cette proposition qui est au coeur même du mystère dont nous cherchons la clé : pour que les avoirs accumulés se transforment en capital actif et génèrent davantage de production, ils doivent être fixes et concrétisés sous une forme quelconque "qui dure au moins un certain temps une fois le travail achevé. Il s'agit en fait d'une certaine quantité de travail qui est stockée et conservée pour être utilisée au besoin à une autre occasion." Ce que je retiens de Smith, c'est que le capital n'est pas le stock d'actifs accumulé, mais le potentiel générateur de production nouvelle qu'il recèle. Ce potentiel est naturellement abstrait. Il faut le transformer et le fixer sous une forme tangible avant de pouvoir le libérer — tout comme l'énergie nucléaire dans la brique d'Einstein.

Cette notion essentielle du capital s'est perdue dans la nuit des temps. On confond maintenant capital et argent, qui n'est que l'une des formes sous lesquelles il circule. Il est toujours plus facile de se souvenir d'un concept complexe sous une forme tangible que dans son essence. L'esprit embrasse plus aisément la notion d'"argent" que celle de "capital". Mais c'est une erreur de supposer que l'argent est ce qui fixe le capital en dernier ressort. L'argent facilite les transactions en permettant d'acheter et de vendre des biens, mais il n'est pas en soi générateur de production supplémentaire.

L'énergie potentielle des actifs
Qu'est-ce qui fixe le potentiel d'un actif de manière à engendrer une production supplémentaire? Comment peut-on isoler la valeur d'une simple maison pour la réaliser en tant que capital?

Nous pouvons trouver un premier élément de réponse dans notre analogie avec l'énergie. Prenons un lac de montagne. Nous pouvons le considérer dans son contexte physique immédiat et y voir certaines façons de l'utiliser directement, par exemple pour y faire du canoë ou pêcher. Mais si nous regardons ce même lac avec les yeux de l'ingénieur qui s'intéresse surtout à sa capacité de créer de l'énergie électrique au moyen d'une usine hydroélectrique, en tant que valeur additionnelle qui dépasse l'état naturel du lac, à savoir une étendue d'eau, nous découvrons aussitôt le potentiel associé au site élevé du lac. Le défi pour l'ingénieur est de trouver le moyen de créer un processus qui lui permette de transformer ce potentiel afin d'accomplir un travail supplémentaire.

Le capital, comme l'énergie, est une valeur dormante. Pour l'animer, non contents de contempler nos actifs en l'état, nous devons réfléchir à ce qu'ils pourraient être. Cela suppose de trouver un processus qui permette de fixer le potentiel économique de l'actif sous une forme susceptible d'engendrer une production supplémentaire.

Si le processus par lequel on convertit le potentiel énergétique de l'eau en électricité est bien connu, on ne connaît pas celui qui donne aux actifs la forme requise pour générer davantage de production. Il en est ainsi parce que le processus clé a été établi non pas délibérément pour créer du capital, mais dans le but plus terre à terre de protéger la propriété des biens. À mesure que les systèmes de propriété des nations occidentales se sont développés, ils ont introduit imperceptiblement toute une panoplie de mécanismes dont l'action s'est peu à peu conjuguée pour produire du capital comme jamais auparavant.

Le processus de conversion caché de l'Occident
Selon ce système de propriété des pays occidentaux, la transformation des actifs en capital commence par la description et l'organisation des aspects économiquement et socialement les plus utiles des actifs, l'enregistrement de ces informations — sous forme de notes dans les livres de comptes ou les fichiers informatiques —, puis leur regroupement sous un titre.

Un corpus de règles précises et détaillées régit l'ensemble du processus. Les registres des biens et titres de propriété sont donc l'expression de notre conception commune de ce qui est économiquement significatif dans tout actif. Ils saisissent et organisent toutes les informations pertinentes requises pour conceptualiser la valeur potentielle d'un actif et nous permettent ainsi d'en avoir le contrôle.

Tout actif dont les attributs économiques et sociaux ne sont pas fixés dans un système de propriété formel est extrêmement difficile à négocier sur le marché. Comment serait-il possible de contrôler le volume colossal des actifs qui changent de main dans une économie de marché moderne autrement qu'au moyen d'un régime de propriété formel? À défaut d'un tel système, tout échange d'actifs, par exemple de biens immobiliers, exigera un effort démesuré simplement pour déterminer les bases de la transaction : le vendeur est-il propriétaire du bien et a-t-il le droit de le transférer? Peut-il le mettre en gage? Le nouveau propriétaire sera-t-il reconnu en tant que tel par les responsables de l'application des droits de propriété? Quels sont les moyens légitimes d'exclure d'autres parties revendiquant le bien? Cela explique pourquoi, en dehors du monde occidental, la plupart des actifs s'échangent dans des cercles locaux restreints de partenaires commerciaux.

À l'évidence, le principal problème des pays en développement et des ex-pays communistes n'est pas le manque d'esprit d'entreprise : les pauvres ont accumulé des milliards de dollars de biens fonciers au cours des quarante dernières années. Ce qui manque, c'est l'accès à des régimes de propriété qui fixent sur des bases légales le potentiel économique de leurs actifs pour qu'ils puissent servir à produire, garantir ou assurer une valeur nouvelle sur un plus vaste marché.

Pourquoi la genèse du capital est-elle devenue un tel mystère? Pourquoi les nations riches, si promptes à prodiguer leurs conseils économiques, n'ont-elles pas expliqué à quel point un régime de propriété formel est indispensable à la formation de capital? La réponse est que le processus de conversion des actifs en capital, dans le régime de propriété formel, est extrêmement difficile à visualiser. Il est enfoui sous l'amoncellement des lois, décrets, règles et institutions qui régissent le système. Dans ce labyrinthe juridique, il est difficile de comprendre comment le système fonctionne réellement. Le seul moyen d'y voir clair est de prendre du recul, de considérer le système d'un point de vue extrajuridique — perspective dans laquelle notre groupe effectue la majeure partie de ses études.

Les régimes de propriété formels de l'Occident produisent six effets qui permettent à leurs citoyens de générer du capital.

(1) Identification du potentiel économique des actifs. Le capital naît de la représentation écrite — sous forme de titre, d'effet ou autre document contractuel — des qualités de l'actif les plus utiles sur le plan économique et social plutôt que de ses aspects matériels les plus évidents. Cet acte donne la première description et le premier enregistrement de la valeur potentielle. Dès lors que l'attention se porte sur le titre de propriété d'une maison, et non sur la maison en soi, on passe du monde matériel à l'univers conceptuel du capital.

La preuve que la propriété formelle est purement conceptuelle apparaît quand une maison change de main : rien ne change physiquement. La propriété n'est pas la maison proprement dite, mais le concept économique qu'elle re-couvre, exprimé par un acte juridique qui décrit non pas ses qualités physiques, mais plutôt la signification économique et sociale que nous y attachons (comme les diverses possibilités qu'elle offre — par exemple le moyen d'obtenir le financement d'une entreprise sans qu'il soit nécessaire de vendre la maison — en procurant une sûreté aux prêteurs sous forme de gage, d'hypothèque ou autre type de contrat). Dans les nations avancées, cette représentation formelle de la propriété est un moyen de protéger les intérêts d'autres parties et d'établir la responsabilité en donnant toutes les informations, références, règles et dispositifs d'application nécessaires à cet effet.

La propriété légale a ainsi donné à l'Occident les moyens de produire une valeur supplémentaire à partir des actifs physiques. Même si ce n'était pas intentionnel, le système de propriété légale a ouvert dans ces nations le passage de l'univers des actifs dans leur état naturel à l'univers conceptuel du capital où l'on peut considérer les actifs dans tout le potentiel productif qu'ils représentent.

(2) Intégration d'informations dispersées en un système unique. Si le capitalisme a triomphé en Occident et bredouillé dans le reste du monde, c'est que la plupart des actifs des nations occidentales ont été intégrés en un seul système de représentation formelle. Cette intégration ne s'est pas faite au hasard. Au XIXe siècle, politiciens, législateurs et juges se sont employés pendant des décennies à rassembler les actes et règles dispersés qui avaient régi jusqu'alors la propriété dans les villes, les villages et les campagnes pour les intégrer en un système unique. Cette compilation des représentations de la propriété, tournant dans l'histoire des nations développées, permit de regrouper en une base d'information unique toutes les données et règles qui régissaient la richesse accumulée des citoyens. Auparavant, les informations sur les actifs étaient beaucoup moins accessibles. Toutes les fermes ou colonies en-registraient leurs actifs et les règles applicables dans des livres rudimentaires, sous forme de symboles ou par témoignage oral. Mais les informations étaient fragmentaires, dispersées et n'étaient pas accessibles à tout moment et à quiconque.

Les pays en développement et les ex-pays communistes n'ont pas créé de régimes formels de propriété unifiés. Dans tous ces pays que j'ai étudiés, je n'ai jamais trouvé de régime légal unique, mais une pléthore de systèmes, administrés par toutes sortes d'organisations, certaines juridiques, d'autres extrajuridiques, allant de groupes de petites entreprises à des organismes de logement. En conséquence, l'usage que les citoyens de ces pays peuvent faire de leurs biens se limite à l'imagination des propriétaires et de leur entourage. Dans les pays occidentaux, où l'information sur les biens est standardisée et universellement accessible, ce que les propriétaires peuvent faire de leurs actifs bénéficie de l'imagination collective d'un plus vaste réseau de personnes.

Le lecteur occidental pourra être surpris d'apprendre que la plupart des nations du monde n'ont pas encore intégré les contrats de propriété extrajuridiques en un régime légal formel. Les Occidentaux d'aujourd'hui ne connaissent en principe qu'une loi — la loi officielle. Cependant, des systèmes de propriété informels et divers étaient autrefois la norme dans toutes les nations — l'adoption par l'Occident de régimes de propriété intégrés ne remonte pas à plus de deux cents ans. S'il est aussi difficile de suivre l'histoire de l'intégration des systèmes de propriété, c'est que le processus s'est étalé sur une très longue période.

(3) Responsabilisation des personnes. L'intégration de tous les systèmes de propriété en un régime légal unique a redéfini dans le contexte impersonnel de la loi la légitimité des droits des propriétaires, qui était jusqu'alors définie par le contexte politique des communautés locales. Ce processus a favorisé la responsabilisation des propriétaires en les sortant du cadre restrictif des systèmes locaux pour les replacer dans un cadre juridique plus intégré.

En faisant des détenteurs de biens réels des individus responsables, la propriété formelle a créé des individus à partir des masses. Les gens n'ont plus besoin de s'en remettre à des relations de voisinage ou de passer des ententes au niveau local pour protéger leurs droits de propriété. Ils se trouvent ainsi libres d'explorer les moyens de générer de la valeur supplémentaire avec leurs propres actifs. Mais il faut en payer le prix : à partir du moment où ils se trouvent dans un régime de propriété formel, les propriétaires perdent leur anonymat tandis que leur responsabilité individuelle est renforcée. Ceux qui ne paient pas les biens ou les services qu'ils ont consommés peuvent être identifiés, frappés de pénalités d'intérêt, d'amendes ou d'embargo, et voir leur cote de crédit baisser. Les autorités peuvent être mises au courant des infractions à la loi et manquements aux contrats; elles peuvent suspendre les services, hypothéquer les propriétés et retirer aux propriétaires une partie ou la totalité de leurs privilèges.

Le respect de la propriété et des transactions dans les nations occidentales n'est pas une vertu innée des citoyens; il dé-coule plutôt de l'existence d'un régime de propriété formel et applicable. Le rôle qu'il joue non seulement en protégeant la propriété mais aussi en assurant la sécurité des transactions donne aux citoyens des pays avancés une forte incitation à respecter les titres, à honorer les contrats et à observer la loi. Le droit de la propriété incite donc à prendre des engagements.

L'absence de propriété légale explique donc pourquoi les citoyens des pays en développement et des ex-pays communistes ne peuvent pas passer de contrats profitables avec des inconnus, ni obtenir de crédit, d'assurance ou de services publics : ils n'ont pas de biens à perdre. N'ayant pas de titre de propriété légal, ils ne sont pris au sérieux en tant que partie contractante que par leur famille immédiate et leurs voisins. Ceux qui n'ont rien à perdre sont prisonniers dans les tréfonds inhospitaliers du monde précapitaliste.

(4) Fongibilité des actifs. L'une des contributions les plus importantes du régime de la propriété est qu'il rend les actifs plus accessibles de sorte qu'on peut les faire travailler davantage. À la différence des actifs physiques, les titres représentatifs des actifs sont faciles à combiner, diviser, mobiliser et utiliser pour faciliter la passation de marchés. En dissociant les aspects économiques d'un actif de son état physique rigide, sa représentation en fait un actif "fongible" — qui peut être adapté aux besoins de presque n'importe quelle transaction.

En décrivant tous les actifs suivant des catégories types, un régime de propriété formel intégré permet de comparer deux immeubles d'architecture différente construits pour le même usage. Il permet de distinguer rapidement et à peu de frais les similitudes et les différences entre les actifs sans avoir à expertiser chaque actif comme s'il était unique.

La description normalisée des biens a aussi pour but de faciliter la combinaison des actifs. Le régime de la propriété exige que les actifs soient décrits et caractérisés de manière à identifier non seulement leurs singularités, mais aussi leurs similitudes avec d'autres actifs, afin de mieux faire ressortir les combinaisons possibles. Les méthodes d'enregistrement standardisées permettent de déterminer l'emploi le plus rentable d'un actif donné.

Les titres représentatifs permettent aussi de diviser les actifs sans y toucher. Alors qu'un actif tel qu'une usine peut être une entité indivisible dans le monde réel, il est possible de le sub-diviser dans l'univers conceptuel de la représentation formelle des biens. Les citoyens des nations avancées peuvent ainsi subdiviser la plupart de leurs actifs en actions, qui peuvent toutes appartenir à des personnes différentes, ayant des droits différents, pour remplir des fonctions différentes.

Les titres représentatifs de la propriété peuvent aussi servir de substituts meubles des actifs physiques, permettant aux propriétaires et aux entrepreneurs de simuler des situations hypothétiques pour explorer d'autres emplois profitables de leurs actifs. En outre, tous les actes de propriété officiels sont établis de manière à faciliter l'évaluation des attributs de l'actif. Avec l'institution de normes, les régimes de propriété occidentaux ont réduit dans une mesure significative les coûts de transaction associés à la mobilisation et à l'emploi des actifs.

(5) Constitution de réseaux. En rendant les actifs fongibles, en associant les propriétaires aux actifs, les actifs à des adresses et la propriété au respect de la loi, et en rendant plus accessibles les informations relatives à l'histoire des actifs et de leurs propriétaires, le régime de la propriété a transformé les citoyens des pays occidentaux en un réseau d'agents économiques individuellement identifiables et responsables. Le régime de la propriété a mis en place une infrastructure de dispositifs interconnectés qui, telle une gare de triage, assure la circulation en bon ordre des actifs entre les personnes. La contribution de la propriété formelle à l'humanité n'est pas la protection de la propriété. Les squatters, les associations pour le logement, la mafia et même les tribus primitives savent protéger leurs actifs de manière très efficace. Le grand changement apporté par le régime de la propriété est qu'il a amélioré la communication des informations sur les actifs et leur potentiel. Il a aussi rehaussé le statut de leurs propriétaires.

Le régime de la propriété en Occident donne aussi aux entreprises des informations sur les actifs et leurs propriétaires, des adresses vérifiables et des mesures objectives de la valeur des biens, autant d'éléments qui permettent de constituer des dossiers de crédit. Ces informations et l'existence d'une législation intégrée permettent de mieux gérer le risque en le diluant au moyen de systèmes d'assurance ainsi qu'en regroupant des actifs pour garantir des dettes.

Peu de gens semblent avoir remarqué que le régime de la propriété d'une nation avancée est le centre d'un réseau complexe de connexions qui permet aux individus de nouer des relations avec les secteurs public et privé et d'obtenir ainsi des biens et services additionnels. Or, on voit mal comment, sans les outils du régime de la propriété, les actifs pourraient accomplir autant dans les pays occidentaux.

(6) Protection des transactions. Une raison importante pour laquelle le régime de la propriété fonctionne comme un réseau est que tous les documents représentatifs de la propriété (titres, actes, valeurs mobilières et contrats décrivant les attributs économiquement significatifs des actifs) sont suivis et protégés en continu au fil de leurs déplacements dans l'espace et dans le temps. Les administrations publiques sont les gardiennes des éléments représentatifs d'une nation avancée. Elles gèrent les archives qui renferment toutes les descriptions économiquement utiles des actifs — terres, biens mobiliers et immobiliers, bateaux, industries, mines ou avions. Ces dossiers informent quiconque souhaite utiliser un actif des éléments qui peuvent restreindre ou faciliter son utilisation tels que servitudes, droits de passage, contrats de bail, arriérés, faillites ou hypothèques. Outre les systèmes d'archives publiques, nombre de services privés (agents dépositaires, cabinets d'experts) se sont développés pour aider les parties concernées à établir, transférer et suivre les actes représentant les actifs pour faciliter et assurer la production de valeur supplémentaire.

Bien qu'ils aient pour fonction de protéger à la fois la propriété et les transactions, il est évident que les régimes occidentaux privilégient les secondes. La sécurité vise surtout à inspirer confiance dans les transactions, de manière à ce que les gens puissent plus facilement faire travailler leurs actifs en tant que capital. L'importance accordée à la sécurité des transactions permet aux citoyens de déplacer d'importants volumes d'actifs en très peu de transactions. Dans la plupart des pays en développement, en revanche, le droit et les institutions publiques restent ancrés dans le droit colonial et le droit romain, qui sont davantage axés sur la protection de la propriété. Ils sont devenus les garants de la volonté des morts.

Conclusion
La marginalisation des pauvres dans les pays en développement et les ex-pays communistes vient de ce qu'ils ne peuvent pas bénéficier des six effets du régime de la propriété. La question pour ces pays n'est pas de savoir s'ils doivent produire ou recevoir davantage d'argent, mais plutôt s'ils peuvent comprendre les institutions juridiques et mobiliser la volonté politique nécessaire pour instituer un régime de la propriété qui soit facilement accessible aux pauvres.

L'historien français Fernand Braudel avait beaucoup de mal à comprendre pourquoi le capitalisme occidental, à son avènement, ne servait que quelques privilégiés, tout comme c'est maintenant le cas ailleurs dans le monde.

Le problème clef, c'est de savoir pour quelles raisons un secteur de la société, que je n'hésite pas à qualifier de capitaliste, a vécu en système clos, voire enkysté; pourquoi il n'a pas pu essaimer facilement, conquérir la société entière. Peut-être était-ce, en fait, la condition de sa survie, la société d'hier ne permettant un taux important de formation du capital que dans certains secteurs, non pas dans l'ensemble de l'économie de marché du temps.

Je pense que la réponse à la question de Braudel réside dans l'accès restreint à la propriété formelle, aussi bien dans le passé en Occident qu'aujourd'hui dans les pays en développement et les ex-pays communistes. Les investisseurs nationaux et étrangers disposent de capital; leurs actifs sont plus ou moins intégrés, fongibles, liés entre eux et protégés par les régimes de propriété. Mais ils ne représentent qu'une infime minorité — celle qui a les moyens de s'offrir les meilleurs juristes, qui a des relations avec les initiés et la patience requise pour naviguer dans l'océan des formalités administratives des régimes de propriété. La grande majorité, ceux qui ne trouvent pas la représentation du fruit de leur labeur dans le régime de la propriété, vit en dehors du système clos de Braudel.

Ce système clos fait du capitalisme un club ouvert à quelques privilégiés, attisant l'envie des milliards d'êtres humains qui en sont exclus. Cet apartheid capitaliste est voué à durer tant que nous ne reconnaîtrons pas ce vice fondamental des systèmes juridiques et politiques de nombreux pays qui empêche la majorité d'accéder au système formel de propriété.

Il est temps de chercher à savoir pourquoi la plupart des pays n'ont pas réussi à se doter d'un régime de la propriété ouvert. Il est temps de percer ce mystère, à l'heure où le tiers-monde et les ex-pays communistes sont en train de vivre leur expérience la plus ambitieuse pour instaurer un système capitaliste.

 

Le Mystère du Capital - Chapitre 1

 

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